OBSERVATIONS POUR L’ENQUETE PUBLIQUE
Déviation de Guilherand-Granges/Saint-Péray – Section Nord du Mialan à la RD 86
A l’attention de :
- Monsieur le commissaire enquêteur,
- Mesdames et messieurs les élus de la Communauté de Commune,
- Mesdames et messieurs les élus de Saint Péray
- Mesdames et messieurs les élus du Département de l’Ardèche
Habitant de St Péray depuis de nombreuses années, j’ai été intrigué par ce projet de déviation et j’ai donc pris connaissance de ce vaste dossier d’enquête publique dans l’objectif de me forger une idée sur ce projet.
Préambule
Je suis très déçu, mais pas étonné, de constater qu’un tel projet puisse encore exister en ce début de 21ème siècle alors que tous les jours, vous et moi, nous entendons des signaux d’alarme tellement inquiétants aussi bien sur :
- le réchauffement climatique galopant (dont on mesure déjà les effets dans notre quotidien à St Péray),
- la sixième extinction de masse qui est en cours et nous touchera durement (la disparition des habitats par l’artificialisation des sols est une de ses causes),
- et la pollution de l’air à cause des véhicules thermiques (ce projet est un accélérateur de ce phénomène).
Je développerai dans mon propos le mal-fondé de ce projet de déviation, les erreurs d’appréciations que j’ai pu noter dans l’étude d’impact et je conclurai par des propositions alternatives.
- Un Projet mal fondé, un projet d’une autre époque
A la lecture du Résumé non technique, il est clairement dit que (p.8) « cet aménagement est issu du projet de déviation de la RD 86, appelée antérieurement « déviation de Guilherand-Granges, Saint-Péray et Cornas », qui a fait l’objet de plusieurs études ainsi que de nombreuses variantes. Entre 1994 et 2005, sous maîtrise d’ouvrage de l’Etat, des études préliminaires et d’avant-projet ainsi qu’un premier dossier de DUP ont été réalisés. Ces études intégraient la perspective d’un raccordement de cette nouvelle liaison à un futur 3ème pont sur le Rhône au nord de Valence, permettant ainsi le bouclage de la rocade de Valence. »
On comprend la logique qui a mené à ce projet, et que le projet global devrait continuer jusqu’à ce 3ème pont. Cette réalisation de la déviation Nord a ainsi été précédée par :
« -la mise en service en 2012, du giratoire des Mulets constituant l’extrémité sud de la déviation de Guilherand-Granges (raccordement au pont des Lônes) ;
– le raccordement en 2014 de ce même giratoire à la RD 86 via un nouveau passage inférieur sous la voie ferrée ;
– l’aménagement de la déviation de Guillherand-Granges, entre le giratoire des mulets et la RD533. »
Cette déviation Nord n’est pas un projet isolé, elle n’est donc qu’une étape, une fuite en avant vers toujours plus d’infrastructures, toujours plus d’artificialisation des sols, toujours plus de perte de biodiversité, toujours plus de voitures et toujours plus de pollution.
Il est regrettable de voir que de tels projets une fois lancés il y a très longtemps, deviennent avec le temps des évidences, qui malgré tous les signaux d’alarme, restent inscrits dans des programmations inébranlables, immuables, à l’image d’un train lancé à toute vitesse que rien ne semble pouvoir arrêter.
Mesdames et messieurs les élus de la Communauté de Commune, de Saint Peray et du Département, qu’est-ce qui vous fera changer d’avis, vous fera arrêter ces projets délétères ; faudra-t-il attendre que la planète brûle devant vos yeux pour que ces projets s’arrêtent un jour ? N’est-ce pas ce que nous demandons, nous citoyens, à nos élus : de voir plus loin, d’anticiper, pour ne pas nous brûler les ailes ?
Ne savez-vous pas que quand on construit de nouvelles routes, on incite plus de gens à prendre leur voiture et/ou à s’installer dans un pavillon plus loin de la ville accessible uniquement en voiture. Ce projet de déviation ne permettra pas de désengorger durablement le centre de Saint-Péray. Une fois les travaux terminés de nouveaux bouchons apparaîtront et ça n’aura été qu’une étape avant bien d’autres séries de déviation… si seulement la Planète était illimitée. Mais ce ne sera pas le cas. La planète n’est pas extensible, elle est fragile, elle a des limites à ne pas dépasser et ces projets sont ceux qui l’altèrent durablement.
L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN[1]) fait aujourd’hui autorité au niveau international sur l’état de la nature et des ressources naturelles dans le monde et sur les mesures pour les préserver. Elle va prendre une motion en septembre lors de son prochain congrès mondial en France : https://www.iucncongress2020.org/fr/motion/085. Cette motion s’intitule « Lutter contre la dégradation et l’artificialisation des sols », en voici des extraits :
« CONSCIENT que les sols sont des réservoirs de biodiversité, assurant de nombreux services écosystémiques tels que la production alimentaire, la régulation du climat, la qualité de l’eau ou le bien-être humain en général et qu’ils peuvent être maximisés lorsque les sols sont en bonne santé ;
CONSCIENT que face aux demandes croissantes en sols au profit des activités humaines, cette ressource limitée et non renouvelable est soumise à des pressions qui impactent sa qualité et en limitent sa disponibilité ;
RAPPELANT que la dégradation des sols est l’une des pressions majeures exercée sur la biodiversité : destruction physique des sols, modifications fonctionnelles, ou artificialisation, soit les sols recouvrant la majeure partie des surfaces supportant l’activité humaine (villes, logements, infrastructures économiques, réseaux de transport, certaines terres agricoles ou forestières et friches) ;[…]
CONSIDÉRANT également que la dégradation et l’artificialisation des sols provoquent un accroissement des effets liés aux changements climatiques comme l’accroissement de la vulnérabilité aux inondations, l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre en raison des impacts sur les modes de vie (augmentation du temps dans les transports, usage de la voiture, construction de parking, etc.), des îlots de chaleur en ville, etc. ;[…]
CONSTATANT que les États ainsi que les acteurs économiques privés comme publics et tous secteurs confondus (immobilier, tourisme, industrie, agriculture) n’intègrent pas au bon niveau cette problématique dans leurs stratégies et projets de développement ;[…]
Le Congrès mondial de la nature 2020 de l’UICN, lors de sa session à Marseille, France :
- DEMANDE aux États, aux gouvernements sous-nationaux et locaux et aux différentes échelles, de :
- mettre en place une planification de l’utilisation des sols permettant de freiner leur artificialisation et d’améliorer leur santé, en se fixant des objectifs concrets de maintien durable du foncier non artificialisé ;[…] »
Mesdames et messieurs les élus de la Communauté de Commune, de Saint Peray et du Département cette motion s’adresse particulièrement à vous et à ce projet de déviation sur la RD 86.
- Les erreurs d’appréciations du dossier
En seulement trente ans, 421 millions d’oiseaux ont disparu en Europe pour une avifaune totale estimée à 2 milliards d’individus. Ce chiffre devrait tous nous alarmer au plus haut point. Et les espèces les plus communes sont devenues les plus vulnérables. Selon les analystes, les causes responsables de la diminution globale du nombre d’oiseaux en Europe sont multiples et reposent avant tout sur l’impact des activités humaines sur l’avifaune avec notamment le « bétonnage » des zones rurales et périurbaines.
Selon l’étude d’impact du projet de déviation l’avifaune est la classe du règne animal la plus impactée par ce projet de déviation. En effet dans l’étude d’impact il est écrit :
- « (P134) Sur ces 35 espèces observées 24 sont inscrites en tant qu’espèce protégée dans l’Arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l’ensemble du territoire et les modalités de leur protection. La presque totalité sont toutefois très ordinaire pour un milieu de plaine agricole voire périurbain comme cela est le cas dans la zone d’étude. Quelques rares espèces patrimoniales sont à citer :[…]
- (p146) : Pie-grièche écorcheur ; espèce quasi menacée; atteinte à sa Zone de nourrissage et de reproduction
- (p146) : Gobemouche noir, espèce en situation Vulnérable ; atteinte à sa Halte Migratoire
- (P239) : Au vu de la proximité du passage de la déviation et de la zone fréquentée par les Pies-grièches, les impacts du projet sur l’espèce, au moins pendant sa phase travaux, ne seront pas négligeables et des nuisances sont à redouter.»
Au vu du nombre important d’espèces d’oiseaux identifiés sur le site, de leurs différents niveaux de protection, du fait que l’avifaune commune est en grand danger de disparition, l’évaluation conclut à un impact jugé comme faible à modéré. Pour ma part je conclurai à un impact fort et j’entrevois qu’il est donc grand temps de revoir les critères de ces études d’impact !
De façon plus générale, concernant la biodiversité l’étude d’impact commence par noter un intérêt réel des milieux touchés par le projet de déviation : (P233) « Les zones à sensibilité modérée correspondent à la plaine agricole au Nord du Mialan. Les territoires agricoles ne sont d’ordinaire pas très favorables à la présence d’une biodiversité riche et patrimoniale. Cependant, dans cette plaine de nombreux linéaires d’arbres et des bosquets ont été conservés. A cela s’ajoute le fait que la diversité des cultures y est grande, présentant ainsi une mosaïque de différents usages du sol, entrecoupée de haies et de bosquets. Ce milieu ouvert où les continuités écologiques ne sont pas ou peu rompues est favorable à la fréquentation de beaucoup d’espèces animales, notamment des oiseaux. C’est ici que la Pie-grièche écorcheur a été observée et c’est ici que la majorité des espèces de chiroptères recensées circulent et se nourrissent. Nous y avons également recensé quelques pieds d’orchidées, non protégées mais faisant l’objet de régulations. »
… mais conclut de façon très inattendue que :
« Le milieu reste tout de même anthropisé et sa modification lors d’un aménagement aurait des conséquences sur la biosphère moindre que dans le cas de la destruction de milieux naturels. »
… ce qui sera pourtant bien le cas. Les milieux qui seront traversés par la déviation seront irrémédiablement détruits.
L’étude d’impact (P200) n’identifie aucun impact sur la continuité écologique, car le secteur d’étude n’est pas situé sur des corridors écologiques d’espèces sensibles. Il n’en reste pas moins que de très nombreuses continuités écologiques vont être détruites pour les espèces communes, avec la création d’une voirie de 10m de large. Il est donc faux de dire qu’il n’y aura pas d’impact sur la continuité écologique. Encore une fois le propos est rassurant mais il est faux, surtout avec les connaissances dont nous disposons maintenant sur la biodiversité commune qui est aussi en grand danger.
Dans un élan d’optimisme forcé, l’étude va jusqu’à identifier un (P199) « effet positif » sur le patrimoine naturel de cet aménagement : c’est absurde ! Depuis quand un aménagement de voirie qui va détruire le milieu, perturber les espèces, et artificialiser les sols pourrait être positif ?
L’étude est aussi très partiale quand elle pointe un impact initial modéré sur les surfaces agricoles alors que le projet entraînerait la suppression pure et simple de surfaces agricoles. En effet la « compensation » par mise à disposition de parcelles agricole aux exploitants à hauteur des surfaces prélevées par le tracé de la déviation, ne va pas recréer des surfaces agricoles par magie. La surface détruite par le projet est bien définitivement perdue.
Toutes les espèces de chauves-souris présentes en France sont intégralement protégées. Dans les annexes de l’étude d’impact (P239) il est noté à propos des chiroptères « Impacts sur les chiroptères La commune de Saint-Péray quant à elle présente un important couloir de déplacement des chiroptères le long du Mialan et une zone de chasse au sein de la plaine bordant le ruisseau par le Nord. […] les routes sont souvent des lieux de chasses importants en raison de leur concentration d’insectes qui apprécient la chaleur du bitume. […]Ces lumières perturbent les communautés de chiroptères car certaines espèces fuient les éclairages et d’autres les recherches. Concernant ces dernières espèces le risque de collision avec des véhicules est important. » . Et malgré cela l’étude d’impact conclut à un impact faible, alors que nous savons que les risques de collision sont élevés sur route.
Petit à petit, projet de route après projet de route, la biodiversité est grignotée, rongée, décimée. Les chiffres, les rapports et les alertes sont abondants… mais la surdité ambiante des décideurs est manifeste. Quand est-ce que la prise de conscience aura lieu ?
Mesdames et messieurs les élus de la Communauté de Commune, de Saint Peray et du Département quelques projets d’envergure nationale ont été arrêtés à temps, mais il est devenu urgent d’agir à tous les niveaux, et pas seulement sur des projets emblématiques, et donc aussi sur des projets locaux tels que celui de cette déviation.
- Les alternatives
Vous avez pu comprendre au travers des commentaires qui précèdent l’urgence à ne pas créer cette déviation qui n’est pas une solution à moyen terme mais plus un problème à moyen et long terme, tant pour la biodiversité, la planète et nous, les hommes et femmes qui l’habitons.
Contre-proposition n°1 intitulée « Et si on faisait une pause ? »
C’est la solution la plus économe. Il s’agit de ne pas faire cette déviation, et d’arrêter cet emballement dans le toujours plus de travaux et plus d’infrastructures. Dans cette hypothèse les automobilistes pourraient tout simplement être incités à utiliser plus facilement la route de la Plaine pour rejoindre Cornas, afin de réduire d’éventuels bouchons à l’entrée de St Péray.
Contre-proposition n°2 intitulée « Soyons modestes »
Même si le projet de déviation n’est pas justifié à mes yeux, c’est une solution intermédiaire qui consisterait à créer seulement 300 m de route qui partirait de la D533 pour rejoindre l’arrière de Gedimat ou de la CCRC, puis un pont qui rejoindrait le Chemin du Mialan (ou le Chemin des terres longues), puis atteindrait le chemin de la Plaine, des Mulets et la Route de Grange à Cornas. Ainsi hormis la création du pont, cela ne créerait quasiment aucune infrastructure. Au lieu de partir su un projet tellement destructeur et onéreux, celui-ci, beaucoup plus modeste remplirait les mêmes fonctions, mais avec un impact très minime.
Contre-proposition n°3 intitulée « Soyons visionnaire, changeons d’ère ! »
Comme le mentionne le dossier de DUP de décembre 2019 : « L’investissement présenté ci-dessus s’avère compatible avec les finances de la Communauté de Communes Rhône-Crussol […]. ». Et il s’agit là tout de même de 7,4Mi€. Si la communauté de commune peut payer de tels aménagements néfastes à moyens termes et inutiles, osons faire le pari de créer des voies vertes cyclables et de financer des incitations à l’usage du vélo, qui feront décoller l’usage des modes doux et par conséquent réduiront l’usage des véhicules, induisant alors la disparition de potentiels bouchons à St Péray.
Monsieur le Commissaire enquêteur, Mesdames et messieurs les élus de la Communauté de Commune, de Saint Peray et du Département, soyez audacieux, vous avez la chance d’être acteurs des décisions sur notre territoire. Vous avez aujourd’hui la possibilité de changer d’ère avant vos successeurs, vous éviterez ainsi d’être les derniers élus à avoir porté ce type de projets néfastes.
- En guise de conclusion
Au vu de ces arguments, je vous demande donc évidemment l’arrêt de ce projet qui ne peut qu’augmenter le trafic routier sur le secteur Rhône-Crussol, et que la Communauté de Communes se lance enfin, avec les budgets nécessaires, dans une vraie politique qui favorise les modes doux sur notre territoire de Rhône-Crussol. Seule cette politique volontariste pourra réduire le trafic routier, et donc, à terme, les bouchons.
Monsieur le Commissaire enquêteur, Mesdames et messieurs les élus de la Communauté de Commune, de Saint Peray et du Département, soyez courageux, changez d’ère. De tels projets sont révolus, sachez être frugaux, sachez vous adapter, arrêtez la fuite en avant, soyez la première génération d’élus qui aura pris la mesure de la catastrophe qui arrive et qui aura essayé d’inverser la tendance. Vos actes seront jugés, vous avez l’opportunité d’apparaitre comme la génération d’élus qui a compris l’urgence de changer de logiciel, changer de façon de faire, pour cesser cette course mortifère vers toujours plus d’infrastructures aux dépens de la vie.
[1] L’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) est composée de 211 gouvernements et agences gouvernementales. Elle compte avec l’expérience, les ressources et le poids de ses plus de 1 400 organisations Membres et les compétences de plus de 17 000 experts.